22.9.2013, 16h | 29.9.2013, 16h
Suites françaises BWV 812-817
Patrick Montan-Missirlian, clavicorde (22.9.2013) | clavecin (29.9.2013)
Programme
Clavicorde Benedikt Claas (Northeim, 2005), d’après Christian Ernst Friederici (Gera, 1765) / clavecin Dominique Laperle (Albens, 2000), d’après Carlo Grimaldi (Messine, 1697/1703)
Présentation
Premier volet de l’intégrale centrée sur l’œuvre pour instrument à clavier de Johann Sebastian Bach (1685-1750), les six suites dites françaises BWV 812-817 sont proposées d’abord au clavicorde (concert du 22.9.2013), puis au clavecin (concert du 29.9.2013), suivant en cela la recommandation de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) dans son traité intitulé Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen (Berlin, 1753, pp. 10-11), et à travers elle, sans doute, la volonté du père : « Jeder Clavierist soll von Rechtswegen einen guten Flügel (clavecin) und auch ein gutes Clavichord haben, damit er auf beyden allerley Sachen abwechselnd spielen könne ».
Le clavicorde permet une gradation des sons par le toucher et par conséquent un contrôle direct de la dynamique. Il donne ainsi un accès plus aisé et immédiat à l’œuvre. Toutefois, par la douceur de ses sons, c’est un instrument de l’intimité réservé à un petit auditoire. Le clavecin, de son côté, bien que plus sonore, n’enfle ni ne diminue les sons. Il ne peut donc que « retracer à l’oreille la chose souhaitée », selon les termes de François Couperin dans L’Art de toucher le Clavecin (Paris, 1716, p. 15). En revanche, il a pour lui le brillant et la netteté. Dans l’exercice du clavier (Clavier-Übung), la pratique du clavicorde est en effet nécessaire pour conférer au toucher du clavecin l’illusion ou le sentiment de la couleur, autrement dit pour lui donner de l’âme.
Les Suites françaises BWV 812-817 font partie des œuvres instrumentales composées pendant les années passées au service du prince Leopold von Anhalt-Köthen entre 1717 et 1723, au même titre que les Concertos brandebourgeois, le premier recueil du Clavier bien tempéré, les sonates et suites pour violon seul, les suites pour violoncelle seul, et d’autres œuvres encore, peut-être antérieures, telles que le Petit livre d’orgue. La version la plus ancienne des Suites françaises se trouve dans le recueil de pièces de clavier pour Anna Magdalena Bach de 1722 (Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach), compilé par le compositeur à l’intention de sa nouvelle épouse.
Les Suites françaises appartiennent au genre de la suite sans prélude, contrairement aux Suites anglaises, plus tardives, qui forment le genre de la suite avec prélude. Elles suivent l’ordre établi en son temps par Johann Jacob Froberger (1616-1667), à savoir allemande, courante, sarabande et gigue finale. La gigue binaire de la suite I en ré mineur (cf. illustration) constitue certainement un hommage à l’illustre précurseur. Toutefois, entre la sarabande et la gigue, Bach élargit l’ensemble avec d’autres danses, le plus souvent deux menuets joués en alternance. Les suites en majeur ont toutes une gavotte après la sarabande. Mais Bach recourt également à des danses moins fréquentes, telles que l’anglaise (intitulée gavotte dans le manuscrit de Leipzig, bibliothèque de l’université, D-LEu N. I. 10338, fasc. 2), la polonaise et la loure. Enfin, il emploie même d’autres pièces qui ne sont pas des danses, écrites dans le style de sonate, telles que l’air (suites II et IV).
Les Suites françaises sont composées dans un style qui passe pour plus facile que les autres cycles de suites, Partitas et Suites anglaises notamment. En réalité, Bach pousse à travers elles les limites de la stylisation instrumentale de la danse et crée en même temps un nouveau modèle pour la suite, en adéquation avec le nouveau style galant. Participant du même processus, les deux volumes de suites et sonates pour instrument à cordes seul et sans accompagnement, constituent un aboutissement d’une autre nature encore, sans égal jusque-là, en raison de la concentration des moyens par opposition à la prodigieuse virtuosité et à l’expressivité musicale requises.
Dans les Suites françaises, cette concentration s’exprime dans une clarté et une parfaite lisibilité de la texture, d’où des pièces résolument courtes, qui atteignent malgré tout un haut degré d’intensité émotionnelle et musicale. Dans son écriture pour clavier, Bach fait un usage modéré du style brisé propre au luth, le modèle ancestral des clavecinistes de l’ère baroque, et le réserve essentiellement aux allemandes de type grave (suites I et II) et aux courantes à la française (suites I et III). Pour les mouvements vifs, il emprunte en revanche volontiers à l’écriture violonistique, qui caractérise le langage de la sonate et où un dessus et une basse « travaillent » à parts égales. Telles sont en effet les courantes inspirées de la corrente italienne (suites II, IV, V, VI) et les bourrées (suites V et VI). Quant aux sarabandes, elles sont presque toutes écrites à trois voix, avec un dessus orné et deux voix qui forment l’accompagnement, sur le modèle de l’aria. La plupart des gigues sont construites sur des motifs qui évoquent la chasse et l’instrument lié à cette activité champêtre, le cor (suites IV, V et VI). La loure (suite V) est une danse qui tire son nom précisément de l’instrument sur lequel on l’exécutait et qui appartient à la famille des cornemuses, autrement dit un instrument de plein air. Enfin, l’écriture en trio pour deux dessus égaux, évoluant en tierces et en sixtes, de certaines gavottes (suites V et VI), achève d’inscrire les Suites françaises dans une esthétique résolument moderne en son temps, celle du style galant, où le simple et le naturel sont érigés en valeurs.
Enfin, faut-il le rappeler, la désignation « françaises » de ces suites, n’est pas de Bach. L’absence délibérée d’un prélude initial, qui devrait être dans ce cas une ouverture à la française, plaiderait même contre un tel titre. Toujours selon le mot de Couperin : « l’usage nous a asservis et nous continuons. » (PMM)