benz_web4 Jacqueline Benz, «Babel», 2012, installation sonore (lecteurs CD et haut-parleurs) | © David Gagnebin-de Bons
benz_web5 Jacqueline Benz, «albi, omri, habibi», 2011-2013, aquarelle et encre (série de 7 dessins) | © David Gagnebin-de Bons
benz_web1 Jacqueline Benz, «Merci», 2012, ensemble d’empreintes issues de frottages réalisés sur des ex-voto (présents dans l’église Santa Maria del Sasso à Locarno) | «En noms de couleur», ca. 2010, veste cousue d’étiquettes | © David Gagnebin-de Bons
benz_web2 Jacqueline Benz, «Navette», 2009, Talmud, Bible, Coran | © David Gagnebin-de Bons
benz_web3 Jacqueline Benz, «Trouer de peinture», 2013, dessin à l’aguille enduite d’encre (à droite) | © David Gagnebin-de Bons
hosties Jacqueline Benz, «Dis-moi mange», 2002, oublie et encre de seiche, 5,5 x 8,7 cm (multiple)
coupleweb2 Jacqueline Benz, «albi, omri, habibi», 2011-2013, encre et aquarelle, 80 x 58 cm
Benz_a_l_aide_du_dicctionnaire_web Jacqueline Benz, «À l’aide du dictionnaire», 2013, video still, performance 10 min.

18.1. - 9.3.2014

Jacqueline Benz – Navette

Artiste plasticienne lausannoise sensible aux questions des libertés et des conditionnements au sein des communautés humaines, Jacqueline Benz propose à Romainmôtier une exposition à plusieurs facettes. Elle comprend notamment des dessins, une vidéo et (dans un second temps) une installation sonore. Son travail instille dans le champ artistique une critique subtile à l’égard des sociétés contemporaines, critique qui s’articule à la fois sur une vision profondément poétique et libertaire des êtres. L’artiste révèle les tensions entre héritage spirituel monothéiste et idéal démocratique dans des ouvrages de patience ambivalents, exécutés comme des labeurs persévérants de médiation, de raccommodement.

 

Avec la délicatesse d’une évocation qui accorde considération aux rôles et positions des femmes dans les sociétés de tradition patriarcale, Jacqueline Benz présente dans sa série de dessins bleus à l’encre et à l’aquarelle albi, omri, habibi («mon cœur, ma vie, mon amour» en arabe), la difficulté des rencontres amoureuses dans l’espace public arabe actuel. Dans cette série, le bleu de la nuit qui inonde les quais du Nil égyptien dissimule les élans du cœur aptes à briser l’interdit qui pèse sur les affaires du corps. Les mots intimes de l’amour, comme dans une litanie profane, passent de couple en couple pour former un rosaire collectif. Et la séquence des dessins retrace cette chaîne de solidarité qui lie les couples entre eux dans l’expression même des sentiments et des émois.

 

La pièce intitulée Navette, mot issu de l’univers féminin qui donne son titre à l’exposition, présente trois exemplaires des livre sacrés fondant le patriarcat comme principe divin – Talmud, Bible, Coran – dans les pages desquels l’artiste a découpé les occurrences du mot « femmes » pour les en extraire et les échanger d’un corps du texte dans l’autre, tissant, suturant, greffant ces derniers l’un à l’autre. Par le travail des «femmes» qui font «navette» une valeur d’universalité humaniste est poétiquement inscrite dans des textes parfois utilisés comme prétextes d’exclusion et d’asservissement.

 

La vidéo A l’aide du dictionnaire montre l’effort d’une femme qui escalade une montagne de sable en façonnant elle-même les marches d’un escalier précaire à l’aide de trois dictionnaires sur lesquels elle avance: métaphore de la quête spirituelle et artistique à la fois, qui rend  hommage non seulement à la force de volonté et au courage mais également au savoir et à l’intelligence, dans une version contemporaine et féminine réinterprétant les mythes de Sisyphe ou de Jacob.

 

Trouer de peinture est un dessin fait à l’aide d’une aiguille enduite d’encre ocre rouge en perçant le papier de points serrés formant des lignes horizontales de stigmates rapprochés. Jacqueline Benz effectue ici un travail de patience évoquant un canevas de tapisserie au point d’aiguille. On pense aux femmes, à leurs gestes, à leurs luttes et à leurs souffrances. Souffrances qui trouvent leur écho dans les offrandes en demande de grâce ou pour une grâce obtenue dont témoignent les ex-voto de l’église de Santa Maria del Sasso à Locarno dont Jacqueline Benz a pris l’empreinte dans un ensemble de dessins. Douleur humaine anonyme partagée et transportée devant d’autres êtres par l’action de l’artiste.

 

Enfin, à partir du 1er mars 2014, l’installation Babel fait entendre à l’aide de dispositifs audio placés au centre de l’espace d’exposition et reliés à des haut-parleurs rayonnants, une montée dramatique des prières proférées dans une vingtaine de langues. L’installation semble s’interroger sur les cloisonnements communautaires dans un monde globalisé, cloisonnements qui peuvent conduire au mépris de la parole de l’autre par imposition autistique de sa propre vérité. (AdA)

Radio RTS la 1ère (Florence Grivel), Jacqueline Benz à propos de son exposition «Navette», 13.2.2014