Capriccio1 Johann Sebastian Bach, Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] BWV 992, c. 1702, Möllersche Handschrift (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
Capriccio2 Johann Sebastian Bach, Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] BWV 992, c. 1702, Möllersche Handschrift (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
Capriccio3 Johann Sebastian Bach, Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] BWV 992, c. 1702, Möllersche Handschrift (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
Capriccio4 Johann Sebastian Bach, Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] BWV 992, c. 1702, Möllersche Handschrift (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
Capriccio5 Johann Sebastian Bach, Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] BWV 992, c. 1702, Möllersche Handschrift (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin

23.2.2014, 16h

V. Récital Johann Sebastian Bach

Capriccio BWV 992, suites BWV 818-820, 823, 832-833, 841-843 et sonates BWV 964-968

Patrick Montan-Missirlian, clavecin

Programme

  • Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] en si bémol majeur BWV 992:
  1. Arioso (adagio). Ist eine Schmeichelung der Freunde, um denselben von seiner Reise abzuhalten.
  2. Ist eine Vorstellung unterschiedlicher Casuum, die ihm in der Fremde könnten verfallen.
  3. Adagiosissimo. Ist ein allgemeines Lamento der Freunde.
  4. Allhier kommen die Freunde, weil sie doch sehen, dass es anders nicht sein kann, und nehmen Abschied.
  5. Allegro poco. Aria del Postiglione.
  6. Fuga all’imitatione della posta.
  • Praeludium et partita del Tuono Terzo BWV 833: Praeludium (andante) – Allemande – Courante – Sarabande, double (allegro) – Air (allegro)
  • Ouverture en fa majeur BWV 820: Ouverture – Entrée – Menuet – Bourrée – Gigue
  • Suite en la majeur BWV 832: Allemande – Air pour les trompettes – Sarabande – Bourrée – Gigue
  • Suite en fa mineur BWV 823: Prélude – Sarabande en rondeau – Gigue
  • Trois menuets extraits du Clavier-Büchlein vor Wilhelm Friedemann Bach: Menuet I en sol majeur BWV 841 – Menuet II en sol mineur BWV 842 – Menuet III en sol majeur BWV 843
  • Suite en la mineur BWV 818a: [Prélude] fort gai – Allemande – Courante – Sarabande – Menuet – Gigue
  • Suite en mi bémol majeur BWV 819a: Allemande – Courante – Sarabande – Bourrée – Menuet I – Menuet II en trio
  • Sonate en la mineur BWV 967
  • Sonate d’après Reinken en do majeur BWV 966: Praeludium, Fuga, Adagio – Allemande
  • Sonate d’après Reinken en la mineur BWV 965: Adagio, Fuga, Presto – Allemande – Courante – Sarabande – Gigue
  • Adagio en sol majeur BWV 968 (d’après la sonate pour violon en do majeur BWV 1005)
  • Sonate en ré mineur BWV 964 (d’après la sonate pour violon en la mineur BWV 1003): Adagio – Thema (allegro) – Andante – Allegro

Clavecin Dominique Laperle (Albens, 2000), d’après Carlo Grimaldi (Messine, 1697/1703)

 

Présentation

Cinquième volet de l’intégrale Johann Sebastian Bach (1685-1750) pour clavier, le Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo BWV 992, les suites et mouvements de suites BWV 818-820, 823, 832-833 et 841-843, ainsi que les sonates BWV 964-968, couvrent une tranche chronologique assez large, depuis les années de formation à Lunebourg (Lüneburg), au tournant du siècle, jusque vers 1725 pour les plus tardives. Ce sont donc pour la plupart des œuvres de la jeunesse.

 

Comme pour les toccate, autres œuvres emblématiques de la jeunesse de Bach, en l’absence d’autographe, si ce n’est pour le menuet en sol majeur BWV 843, les sources les plus anciennes sont aussi le manuscrit Möller (Möllersche Handschrift) et le livre d’orgue d’Andreas Bach (Andreas Bach Buch), compilés tous deux peu après 1700 par Johann Christoph Bach (1671-1721), frère aîné et père de substitution de Johann Sebastian. Quant aux deux autres menuets BWV 841 et 842, ils sont, semble-t-il, des compositions de Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784), revues et achevées par son illustre père.

 

Le Capriccio sopra il lontananza de il Fratro dilettissimo [sic] passe pour avoir été composé à l’occasion du voyage de Johann Jacob Bach (1682-1722), le frère hautboïste, parti de Thuringe en 1704 pour la Pologne, afin de servir Charles XII, roi de Suède, alors impliqué dans la Grande guerre du Nord. Depuis quelques années cependant, la compréhension de cette œuvre programmatique est remise en question. Certains voient dans le Fratro, non pas le fratello hautboïste, mais le camarade d’école et ami de toujours, Georg Erdmann (1682-1736), le Werthester Bruder, avec qui Bach a quitté la Thuringe en juillet 1700 pour entrer à la prestigieuse Michaelisschule de Lunebourg et avec lequel il a entretenu une correspondance étroite. Le capriccio en question aurait donc été composé à l’occasion du départ de Lunebourg de son ami.

 

Quant aux suites de ce programme, les plus anciennes reflètent l’influence de Georg Böhm (1661-1733), organiste de la Johanniskirche à Lunebourg, auprès de qui le jeune Johann Sebastian avait recopié, en 1697 déjà, puis en 1700, des œuvres pour orgue, parmi les plus exigeantes, de Johann Adam Reinken (1643-1722) et de Dietrich Buxtehude (1637-1707). Les deux manuscrits ont refait surface en 2006 dans les archives de la Herzogin Anna Amalia Bibliothek de Weimar. Ce sont les plus anciens autographes connus de Bach. Ils prouvent désormais que le compositeur a suivi l’enseignement de Böhm – ce que l’on supposait jusque-là –, en tout cas pendant les années à Lunebourg, de 1700 à 1702, mais peut-être même avant, dans les toutes dernières années du 17ème siècle. Ils témoignent enfin des capacités prodigieuses du jeune organiste de treize ans à peine.

 

Ces suites portent donc l’empreinte de Böhm, qui a développé la suite pour clavier à partir du modèle établi quelques décennies plus tôt par Johann Jacob Froberger (1616-1667) et sous l’influence des meilleurs compositeurs français, dont Nicolas Antoine Lebègue (1631-1702), organiste de la chapelle royale. Les pièces de clavecin du livre de 1677 de ce compositeur français ont été intégralement recopiées – à l’exclusion toutefois des préludes non mesurés – dans le manuscrit Möller, qui constitue avec le livre d’orgue d’Andreas Bach, l’une des principales sources non seulement pour les œuvres de jeunesse de Bach, mais également pour les suites de Böhm.

 

Outre l’allemande, la courante, la sarabande et la gigue, qui continuent de former le noyau dur de la suite – bien que ce ne soit pas systématiquement le cas –, les suites comprennent donc désormais le menuet, la bourrée et d’autres danses introduites dans la tragédie lyrique par Jean Baptiste Lully (1632-1687) dans le dernier quart du 17ème siècle et simultanément dans les suites pour clavecin des compositeurs français, arrangées à partir des ouvrages de Lully. Un arrangement pour clavier de la chaconne de l’acte II, scène 5, extraite de Phaéton de Lully (1683) se trouve justement dans le manuscrit Möller (feuillet 45v: Ciaconna di M. Lÿllig).

 

La suite en fa majeur BWV 820 évoque quant à elle plus précisément l’univers de l’opéra-ballet, avec son ouverture et son entrée. Le motif initial de celle-ci, apparenté musicalement au motif initial de l’ouverture, respecte la formule de Johann Mattheson (1681-1764), théoricien et compositeur allemand, dans son ouvrage intitulé Das Neu-Eröffnete Orchestre (Hambourg, 1713), à propos de cette danse: «[Entrée] siehet dem ersten Theil einer Ouverture nicht unähnlich, nur dass die letzte Reprise eben der Art ist wie die erste.» L’écriture orchestrale de la fugue qui suit l’ouverture préfigure par endroits le prélude de la suite anglaise en sol mineur BWV 808.

 

Autre caractéristique des suites, certaines danses traditionnellement bipartites, sont traitées en rondeau, où la première partie est la refrain et la seconde le couplet. À la fin de celui-ci, on revient au refrain. C’est le cas de la sarabande de la suite en fa mineur BWV 823. Comment ne pas songer ici à la neuvième sinfonia BWV 795 de l’Aufrichtige Anleitung? Comme la sinfonia, cette sarabande est dans le ton plaintif et douloureux de fa mineur. Dans le refrain de la sarabande, on retrouve également le motif typique du lamento, à savoir le tétracorde descendant et chromatique, en l’occurrence à la basse. Sur lui repose une mélopée incantatoire martelant successivement la tierce, la quinte, l’octave et finalement la dixième de la trias harmonica de fa mineur. En outre, les agréments écrits en toutes notes ou signifiés par des marques confèrent à cette sarabande un air de double, cet art de la diminution hérité de l’air de cour et appliqué parfois à la sarabande. Le prélude est lui-même un rondeau et la gigue qui ponctue cette  suite en miniature, une gigue française, autrement dite canarie. Enfin, le choix de la tonalité de fa mineur est peut-être un hommage à Georg Böhm, dont deux suites, en fa mineur également, se trouvent justement dans le manuscrit Möller.

 

Les suites en la mineur BWV 818a et en mi bémol majeur BWV 819a sont plus tardives. Heinrich Nicolaus Gerber (1702-1775), élève de Bach à Leipzig, en a fait une copie pendant ses deux années d’étude auprès du maître entre 1725 et 1727. Leur genèse remonte donc à 1725 au moins, peut-être à 1722, comme les Suites françaises BWV 812-817, auxquelles elles sont rattachées dans certaines sources et avec lesquelles elles partagent en effet de nombreuses caractéristiques stylistiques. Dans le programme cependant, ce sont des versions plus tardives qui ont été retenues. Dans la copie de Gerber, la suite en la mineur n’a, par exemple, pas la pièce introductive, un prélude marqué fort gai et qu’il serait fort dommage de ne pas présenter!

 

Certaines œuvres de ce programme ne sont pas entièrement de Bach. C’est le cas des deux sonates BWV 965 et 966, qui sont en réalité des arrangements des sonates en trio extraites du Hortus musicus, publié en 1688 par Johann Adam Reinken, célèbre compositeur et organiste de l’église Ste-Catherine de Hambourg. L’orgue de cette tribune était l’un des plus imposants d’Allemagne du Nord. Sous la recommandation de Georg Böhm, Bach a sans doute fait régulièrement le pèlerinage de Lunebourg à Hambourg pour écouter le maître et suivre son enseignement, en 1701. Les sonates qu’il a arrangées pour le clavier témoignent de sa maîtrise dans le domaine et aussi d’une certaine liberté dont il fait preuve dans certains cas face au modèle. La fugue de la sonate en do majeur BWV 966 est ainsi deux fois plus longue dans l’arrangement de Bach que dans l’original de Reinken!

 

La sonate BWV 964 et l’adagio 968 sont également des arrangements, mais à partir d’œuvres originales de Bach, en l’occurrence les sonates et partitas pour violon seul BWV 1001-1006. Les arrangements en question sont dus probablement aux fils du compositeur, notamment Wilhelm Friedemann, ou peut-être à Johann Christoph Altnickol (1719-1759), élève et copiste de Bach à Leipzig, de 1744 à 1747. Dans le cas de ces sonates, la difficulté pour l’arrangeur consiste bien entendu à occuper l’espace sonore en-dessous de la corde de sol du violon – d’où la transposition une quinte ou une quarte vers le bas –, avec une basse qui travaille suffisamment et intelligemment, sans trahir l’original. Dans le cas de ces soli, précisément senza Basso accompagnato, ce n’est pas chose simple et c’est probablement la raison pour laquelle ces arrangements en particulier nous sont parvenus sur le papier. Un bon claviériste, cela va sans dire, était rompu à ce genre d’exercice et devait pouvoir réaliser n’importe quel arrangement a prima vista.

 

On pourrait craindre le caractère disparate du programme. Au contraire, c’est la diversité des traditions musicales d’où sont issues les œuvres, qui assure la cohérence de l’ensemble. Toutes témoignent de la prodigieuse culture musicale du compositeur acquise dès ses plus jeunes années auprès de maîtres tels Georg Böhm, Johann Adam Reinken, Dietrich Buxtehude et sans doute aussi Johann Pachelbel (1653-1706), organiste et compositeur, ami de la famille. Enfin, suite à la découverte à Weimar des deux autographes de 1697 et de 1700, on est tenté de croire que Johann Christoph Bach n’est peut-être pas le seul compilateur des deux anthologies de musique de clavier, le manuscrit Möller et le livre d’orgue d’Andreas Bach. Ces derniers ne seraient même qu’une partie infime de toute une bibliothèque musicale familiale, sans doute bien plus vaste encore, à la constitution de laquelle Johann Sebastian Bach aurait lui-même largement contribué. (PMM)

 

Radio RTS Espace 2 (Yves Bron), Patrick Montan-Missirlian à propos de son récital Bach, 19.2.2014