896_1 Johann Sebastian Bach, Prélude et fugue en la majeur BWV 896, Möllersche Handschrift, c. 1706-1707 (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
896_2 Johann Sebastian Bach, Prélude et fugue en la majeur BWV 896, Möllersche Handschrift, c. 1706-1707 (copiste Johann Christoph Bach?), Staatsbibliothek zu Berlin
Petite_fugue_en_do_mineur_BWV_961 Johann Sebastian Bach, Petite fugue en do mineur BWV 961, manuscrit de la deuxième moitié du 18e siècle (copiste Johann Christian Bach (1743-1814), autrement dit «Hallenser Clavier-Bach»), Universitätsbibliothek Leipzig

16.5.2014, 20h30

VIII. Récital Johann Sebastian Bach

Petits préludes et fugues BWV 895, 899, 900, 902, 921, 924-928, 931, 933-943, 952, 953, 959, 961, 999

Patrick Montan-Missirlian, clavecin

Programme

Sept préludes extraits du Clavier-Büchlein vor Wilhelm Friedemann Bach:

  • Prélude en do majeur BWV 924
  • Prélude en ré mineur BWV 926
  • Prélude en fa majeur BWV 927
  • Prélude en sol mineur BWV 930
  • Prélude en fa majeur BWV 928
  • Prélude en ré majeur BWV 925
  • Prélude en la mineur BWV 931

Six préludes à l’usage des commençants:

  • Prélude en do majeur BWV 933
  • Prélude en do mineur BWV 934
  • Prélude en ré mineur BWV 935
  • Prélude en ré majeur BWV 936
  • Prélude en mi majeur BWV 937
  • Prélude en mi mineur BWV 938

Six préludes extraits de copies de Johann Peter Kellner:

  • Prélude en do majeur BWV 939
  • Prélude en ré mineur BWV 940
  • Prélude en mi mineur BWV 941
  • Prélude en la mineur BWV 942
  • Prélude en do majeur BWV 943
  • Prélude en do mineur BWV 999

Divers préludes, fugues et préludes et fugues:

  • Prélude et fugue en la majeur BWV 896
  • Prélude en do mineur BWV 921
  • Petite fugue en do mineur BWV 961
  • Fugue en do majeur BWV 952
  • Fugue en do majeur BWV 953
  • Fugue en la mineur BWV 959
  • Prélude en sol majeur BWV 902a et petite fugue en sol majeur BWV 902
  • Prélude et petite fugue en ré mineur BWV 899
  • Prélude et fugue en mi mineur BWV 900
  • Prélude et fugue en la mineur BWV 895

Clavecin Dominique Laperle (Albens, 2000), d’après Carlo Grimaldi (Messine, 1697/1703)

 

Présentation

Huitième volet de l’intégrale Johann Sebastian Bach (1685-1750) pour clavier, les soi-disant petits préludes et fugues n’ont de petit que le nombre de mesures qui les constituent pour la plupart. En réalité, il s’agit de compositions parfaitement équilibrées et autonomes, à l’harmonie chantante, qui rappellent, par leur concision, les inventions à deux et trois voix de l’Aufrichtige Anleitung de 1723.

 

C’est dans le cadre de l’enseignement du clavier et de la composition, prodigué par Bach toute sa vie durant, que la plupart de ces compositions ont vu le jour et qu’elles ont servi à plusieurs générations d’élèves. Dans certaines œuvres, telle la petite fugue en mi mineur BWV 900, dans la basse aux mesures 95-96, des modifications ont ainsi été successivement apportées sans doute à l’occasion de l’une ou l’autre leçon.

 

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les œuvres de ce programme nous soient parvenues grâce aux copies manuscrites réalisées par les élèves de Bach ou un jour en leur possession, notamment Johann Peter Kellner (1705-1772), cantor à Gräfenroda, Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), compositeur et théoricien, et Johann Christian Kittel (1732-1809), organiste municipal à Erfurt et l’un des derniers élèves de Bach à Leipzig. C’est le cas par exemple des préludes BWV 939-943 et 999 conservés à la Staatsbibliothek de Berlin dans plusieurs copies manuscrites (Mus. ms. Bach P 804, fascicules 2, 19 et 53), ayant appartenu dès l’origine à Johann Peter Kellner, qu’il en soit lui-même le copiste (BWV 999) ou non (BWV 939-943).

 

Les sept premiers préludes de ce programme proviennent, quant à eux, du petit recueil de pièces pour le clavier à l’usage de Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784), intitulé Clavier-Büchlein vor Wilhelm Friedemann Bach et compilé dès 1720 par Johann Sebastian pour son fils aîné. Leur source est donc autographe, tout comme la fugue en do mineur BWV 921 et le prélude et fugue en la majeur BWV 896 (cf. illustration), conservés respectivement dans le livre d’orgue d’Andreas Bach (Andreas-Bach-Buch) et le manuscrit Möller (Möllersche Handschrift).

 

La fugue en do mineur BWV 921 et le prélude et fugue en la majeur BWV 896 seraient donc, soit dit en passant, les plus anciennes compositions de Bach pour le clavier, avec la fantaisie pour orgue BWV 1121 (anciennement BWV Anhang 205), le prélude en sol mineur BWV 535a et les chorals pour orgue «Wie schön leuchtet der Morgenstern» BWV 739 et 764, tous composés avant 1706-1707.

 

Pour le reste des préludes, autrement dit pour quasiment l’ensemble de ceux-ci, ils proviennent tous de sources autographes ou non, postérieures à 1720. Dès lors, comment ne pas faire le rapprochement avec les huit préludes qui closent L’Art de toucher le Clavecin de François Couperin (Paris, 1716-1717)? Celui-ci les a composés dans les tons de ses pièces et proportionnés au progrès de ses élèves et de ses lecteurs.

 

Pour François Couperin, les préludes non seulement annoncent agréablement le ton des pièces qu’on va joüer: mais, ils servent à dénoüer les doigts; et souvent à éprouver des claviers sur lesquels on ne s’est point encore exercé. Le prélude étant, toujours selon Couperin, une composition libre, ou l’imagination se livre à tout ce qui se présente à elle. Mais comme il est assez rare de trouver des genies capables de produire dans l’instant; il faut que ceux qui auront recours à ces Préludes-réglés (= mesurés), les jouent d’une manière aisée sans trop s’attacher à la précision des mouvemens; à moins que je n’aÿe marqué exprés par le mot de Mesuré: ainsi, on peut hazarder de dire, que dans beaucoup de choses, la Musique (par comparaison à la Poésie) a sa prose, et ses Vers (François Couperin, L’Art de toucher le Clavecin, Paris, 1716-1717).

 

Bach connaissait si ce n’est la méthode de François Couperin, du moins ses pièces de clavecin, comme en témoigne le rondeau intitulé «Les Bergeries», extrait du Sixième Ordre du Second livre des Pièces de Clavecin (Paris, 1717), recopié par Anna Magdalena Bach (1701-1760), seconde épouse de Bach, dans le petit recueil homonyme pour le clavier, compilé dès 1722 par les époux et intitulé Clavier-Büchlein vor Anna Magdalena Bach.

 

Selon Johann Nicolaus Forkel (1749-1818), premier biographe du compositeur, Bach estimait les œuvres de Couperin et celles des autres maîtres français de la même époque, pour la raison que l’on pouvait apprendre grâce à elles le beau Toucher du Clavecin: «Übrigens, kannte Bach Couperin’s Werke und schätzte sie so wie die Werke mehrerer französischer Clavierkomponisten aus jenem, Zeitraum, weil man eine nette und zierliche Spielart aus ihnen lernen kann». (Johann Nicolaus Forkel, Über Johann Sebastian Bachs Leben, Kunst und Kunstwerke, Leipzig, 1802). Certains préludes font en effet parfois songer aux œuvres de Couperin, comme le prélude en fa majeur BWV 928 à «La Bersan», extraite du même Sixième Ordre.

 

De même que les préludes de L’Art de toucher le Clavecin ont été composés en lien avec les autres pièces de clavecin de François Couperin, de même ceux de Bach entretiennent des rapports stylistiques étroits avec ses œuvres atour des années 1720-1723, non seulement avec les inventions à deux et trois voix de l’Aufrichtige Anleitung, mais également avec les suites dites françaises. Ainsi, l’écriture à deux voix de la fugue en do mineur BWV 961 (cf. illustration) évoque clairement une inventio, n’était-ce la réponse à la quinte, comme il se doit pour une fugue. Le prélude en do mineur BWV 934 s’apparente quant à lui tout à fait aux menuets de la suite française BWV 813, en do mineur également. Dans le même ordre d’idées, le prélude en mi majeur BWV 937, en forme d’allemande légère, pourrait être une alternative à l’allemande, également légère, de la suite française en mi majeur BWV 817.

 

Enfin, en reprenant le fil de la pensée de Couperin, dont Bach admirait non seulement les œuvres, mais également la méthode (eine nette und zierliche Art lernen kann), on pourrait se hasarder à dire que certains préludes de Bach sont sa «prose» et le reste de ses œuvres, entre autres les suites, ses «vers». (PMM)