28.12.2014, 16h
Œuvres de Manoel Rodrigues Coelho, Francisco Correa de Arauxo, Joan Cabanilles, Pablo Bruna, Thomas Tomkins, John Bull, Jan Pieterszoon Sweelinck
Patrick Montan-Missirlian, orgue (realejo)
Programme
Manoel Rodrigues Coelho (c. 1555-c. 1635)
Francisco Correa de Arauxo (1584-1654)
Thomas Tomkins (1572-1656)
John Bull (1562/3-1628)
Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621)
Pablo Bruna (1611-1679)
Joan Cabanilles (1644-1712)
Présentation
Pascoal Caetano Oldovino (*14.3.1713 – †25.4.1785) est un facteur d’orgues important originaire de Gênes, actif dès 1742 à Évora, au Portugal. Une quarantaine d’instruments d’église sont parvenus jusqu’à nous, principalement des positifs, mais également de grandes orgues comme celui de la cathédrale d’Évora (1758) ou celui de l’ancienne cathédrale d’Elvas (1762). Au même titre que Domenico Scarlatti (*1685–†1757) ou Farinelli (*1705–†1782), il fait partie de cette vague d’artistes et d’artisans italiens attirés au Portugal dans la première moitié du 18e siècle en raison du goût italianisant de la Cour et de l’Église, alors engagées dans de vastes programmes d’embellissement architectural et artistique du pays, financés notamment grâce à l’afflux d’or et de pierres précieuses du Brésil.
Fils de Giuseppe Oldovino et d’Anna Maria Pesce, Pasquale Gaetano est né le 14 et baptisé le 15 mars 1713 en la paroisse de sainte Marie Madeleine à Gênes. Ses parrains sont Nicolò Spinola, futur doge de Gênes (1740–1742), et Caterina Negrone, fille de Domenico Negrone, futur doge également (1723–1725). Ses frères et sœurs connus sont Giovanni Francesco (*20.1.1705 – †?), Maria Caterina (*22.1.1715 –†?), Maria Settimia (*10.1.1717 – †?) et Giovanni (?) (*5.4.1718 – †?). Systématiquement désigné comme Dom Pascoal Caetano, le facteur est probablement d’ascendance noble. D’après son testament, il se serait formé auprès d’un beau-frère, peut-être chez un membre de la dynastie des Roccatagliata à Santa Margherita Ligure, en raison de certaines similitudes de facture de leurs instruments. Ou peut-être chez un membre de la famille de facteurs d’orgues génois Pittaluga ou Biccaluga. En effet, une nièce, Anna Maria, fille de Giovanni Francesco Oldovino et de Maria Giovanna, aura pour parrain un dénommé Rocco Bittaluga [Pittaluga?].
Le 5 octobre 1741, Pascoal Caetano Oldovino signe à Lisbonne un reçu pour la réparation de l’orgue construit en 1725 par le facteur romain Filippo Testa (*19.2.1665 Rome – †24.4.1726 Rome) pour Nossa Senhora do Loreto da Nação Italiana, l’église de la nombreuse communauté italienne de la ville. Puis, le 4 janvier 1742, le grand érudit et amateur d’art José Maria da Fonseca e Évora, évêque de Porto, ex-ambassadeur du Portugal auprès du Saint-Siège et ex-ministre général de l’Ordre de saint François, mandate Oldovino pour la construction du grand orgue de chœur de l’église des Franciscains à Évora, sa cité d’origine (ill.). Installé désormais dans cette ville, le facteur épouse le 28 septembre 1762 Lauriana Rosa Lizarda de Carvalho (*21.7.1735 Palmela – †14.11.1779 Évora). Ils n’auront pas d’enfants. En revanche, la nièce évoquée ci-dessus, Anna Maria Oldovino, baptisée en la paroisse de sainte Marie Madeleine à Gênes le 13 octobre 1735, rejoint son oncle au Portugal probablement peu après 1752. En effet, elle est admise au couvent des Clarisses à Évora le 8 juillet 1760 comme Sœur Anna Maria de Jesus, après sa période de noviciat et moyennant présentation d’un certificat de baptême, établi à Gênes le 22 avril 1752. Membre des Tiers-Ordres carmélite et franciscain ainsi que de la Confrérie de saint Antoine, Oldovino trouvera sépulture dans la chapelle de cette dernière en l’église des Franciscains. À sa mort en 1785, il légue à la Confrérie son orgue portatif personnel daté de 1762, que l’on trouve encore mentionné dans l’inventaire du couvent établi en 1834 à l’occasion de sa sécularisation. Il était placé dans le chœur de l’église où il demeure toujours aujourd’hui (ill).
En 1764, Oldovino réalise le petit positif (realejo ou orgão de armário) dont nous fêtons aujourd’hui le 250e anniversaire. Pratique avérée à l’époque, certaines parties de l’instrument proviennent d’un orgue antérieur, un positif de la fin du 17e ou du début du 18e siècle probablement (d’après le décor peint), lui-même résultat d’une transformation d’un orgue de procession du 17e siècle ou antérieur, sans corps inférieur, avec des soufflets placés sans doute au-dessus et des anses de transport en métal pour brancards. Oldovino a réemployé la caisse décorée, une partie de la tuyauterie en métal, ainsi que le clavier, qu’il a augmenté de trois notes dans l’aigu, pour atteindre quatre octaves. Il a aussi augmenté la profondeur du corps inférieur pour accueillir le nouvelle soufflerie à pédale.
L’orgue est signé dans la laie «D[om] Pascalis Caetanus Natione Italus feci 1764». D’après une entrée dans un livre de comptes conventuel conservé à la Bibliothèque publique d’Évora, il pourrait bien s’agir d’un troisième orgue de l’église des Franciscains. En effet, en avril 1764, le chapitre commande au facteur «un orgue pour le coro de sima [chœur supérieur de l’église situé au-dessus de l’entrée], en cédant pour escompte le métal de l’ancien, avec réemploi de la caisse, pour 67800 réaux» (Cod. CLXVI, fol. 162, 168). Il sera livré en octobre. La somme correspond aux prix demandés par le facteur pour ses plus petits instruments, tel le nôtre. Le realejo est aussi mentionné dans l’inventaire établi à l’occasion de la sécularisation du couvent en 1834, toujours présent dans le «coro de sima». Le chœur supérieur a disparu entre 1834 et 1862, année où de vastes et urgents travaux de restauration de l’église sont entrepris.
L’instrument est acquis en 1976 par l’organiste et musicologue Gerhard Doderer chez un marchand de biens d’occasion à Évora. Ce dernier l’a obtenu à bas prix d’une brocante à Estremoz, cédé auparavant par le prêtre de Mora, en provenance d’un ancien couvent, sans autres précisions. Sauvé d’une ruine certaine, l’instrument a été restauré par Gerhard Grenzing à Barcelone en 1979. Libéré d’une couche de peinture brune uniforme qui le recouvrait (datant de 1764?), il a retrouvé son décor de la fin du 17e ou début du 18e siècle, soit une polychromie imitant le marbre et la pietra dura, d’inspiration italienne. Les motifs en forme de crabe du corps supérieur sont, quant à eux, d’inspiration persane et témoignent des échanges coloniaux du Portugal avec l’Orient. Gerhard Doderer a publié en 1987 une étude organologique détaillée de l’instrument: «Eine portugiesische Kleinorgel des 17. Jahrhunderts», in Studia organologica. Festschrift für John Henry van der Meer […], Tutzing: Hans Schneider, 1987, p 45-56. Il l’a par ailleurs enregistré en 1981: Lusitana Musica. Carlos Seixas. Sonatas de orgão, III. Opera Phonographice Edita B/5, A Voz do Dono, 1981.
De dimensions réduites (198 x 102 x 70 cm), l’instrument n’a pas à proprement parler de façade. Toute la tuyauterie est visible une fois les volets ouverts, révélant le plan général du sommier à travers la disposition symétrique des tuyaux, des plus petits au centre jusqu’aux plus grands, de part et d’autre. À l’arrière, la caisse est aussi décorée et dotée de deux autres volets, ce qui atteste d’un emploi de l’instrument non adossé contre un mur. Les anses de transport d’origine du corps supérieur de l’instrument empêchent une ouverture complète des volets. Sur le plan musical, le realejo révèle, outre le caractère très affirmé de chacun de ses cinq registres, une sonorité brillante propre aux petits orgues d’église en péninsule ibérique.
Le programme choisi pour marquer le jubilé fait honneur non seulement aux maîtres de l’orgue au Portugal et en Espagne, mais également à leurs confrères du nord de l’Europe, soulignant ainsi des liens qu’entretenaient au Siècle d’or ces lointaines contrées, comme en témoignent par exemple les Flores de musica de Manoel Rodrigues Coelho, d’où sont extraits les cinq kyrie ouvrant le programme. Paru en 1620 chez Pieter van Craesbeeck, imprimeur flamand installé à Lisbonne, ce florilège musical anticipe d’ailleurs de quinze ans le recueil du même nom de Girolamo Frescobaldi (1583-1643) et reflète un haut degré de culture musicale à la cour de Philippe III, roi de toutes les Espagnes et du Portugal. (PM)
Disposition sonore de l’orgue
[Bordão] 8′ (C/E-c)
[Tapadilho] 4′ (C/E-c’’’)
Oitava 2′ (C/E-c’’’)
Cornetilia 2′ 2/3 (cis’-c’’’)
Cheyo II rangs (C/E-c’’’)
Vaza vento