22.1. - 26.3.2017
dAM existe en périphérie. Marcel Duchamp brille au firmament de l’art contemporain. Stefan Banz se passionne pour Marcel Duchamp. Stefan Banz est un artiste conceptuel, un curateur, un essayiste. Caroline Bachmann est peintre dans un style ancien, lucidement active au dos de la modernité, ou à sa périphérie, renouant avec les formes des Primitifs de la Renaissance ou de l’Art nouveau. Elle réactive les genres traditionnels: portraits, paysages et natures mortes. dAM aime cette constellation. dAM, qui n’est pas une galerie d’art commerciale, propose à Caroline Bachmann et à Stefan Banz, compagnons dans la vie et dans l’art, de faire une exposition. Un peu comme à la maison. Banz conçoit alors l’exposition d’œuvres récentes de Bachmann. Elle est faite simplement. C’est une exposition de peinture périphérique qui tisse des liens d’amitié artistique.
Le mur du fond est laissé vide, suggérant la place en creux du curateur, l’absent de l’exposition. Puis, Stefan Banz place à gauche en entrant, neuf petits portraits très colorés de femmes représentées dans une rigoureuse frontalité – des amies artistes de Caroline Bachmann: Joan Ayrton, Ariane Epars ou Vidya Gastaldon entre autres. A droite, face aux portraits, sont présentés cinq paysages du lac Léman que les femmes artistes regardent obligatoirement. Encadrés de faux-cadres peints, ces paysages sont faits et imaginés depuis la maison Bachmann et Banz à Cully. C’est au bord de l’eau, pour qui connaît le lieu, à l’endroit où se trouve la KMD (Kunsthalle Marcel Duchamp), un de leurs projets actif depuis 2009, le plus petit musée du monde, de la taille d’une boîte aux lettres.
Caroline Bachmann peint à l’huile sur toile d’après des dessins préparatoires ou de mémoire. Elle écarte délibérément la photographie comme support de travail. Elle aborde lentement, par fines couches transparentes, des sujets qui la touchent de près, qui témoignent d’un sentiment d’intimité, d’un lien psychologique: ses amies artistes qu’elle fait poser, avec qui elle construit une chaîne de solidarité poétique; son paysage de toujours, souvent dessiné depuis la fenêtre pendant ses nuits d’insomnie, paysage de grâce et de consolation. La lenteur d’élaboration, la patience dans le travail, permet à l’image d’apparaître peu à peu, comme dans un processus de dévoilement, de découvrement, plutôt que de recherche et de découverte.
Sa pratique semble désamorcer l’art du 20e siècle. Mais elle ne travaille pas contre qui ou quoi que ce soit. La bande dessinée et le dessin animé, tout comme Giotto ou Paolo Uccello, sont pour elle des références. L’aspect graphique, le signe ont de l’importance. Comment donner forme à une risée de bise sur le lac ou au regard particulier d’une amie? Sa peinture est figurative, mais pas réaliste. On pense parfois au Douanier Rousseau. Ses paysages – tous carrés – et ses portraits apparaissent comme des synthèses figuratives avec une forte portée décorative. Simplifiée ou logotypée, la forme graphique aux couleurs parfois psychédéliques fonctionne comme signe et comme connexion psychique avec un sujet.
Outre les réminiscences des paysagistes suisses de l’Art nouveau – on pense à Ferdinand Hodler, Félix Vallotton et Alexandre Perrier –, Bachmann se souvient aussi des peintres Américains au seuil de la modernité, périphériques à leur époque par rapport aux grands référents européens: Louis Michel Eilshemius, à qui elle emprunte le motif du cadre peint en forme de lucarne fantaisiste. Ces hublots délimitent d’ailleurs chez Bachmann un intérieur d’où la vue – synthèse d’émotion – donne directement sur l’eau du lac Léman, sans la coulisse d’une berge. Eilshemius fascina Marcel Duchamp et Sefan Banz vient de lui consacrer une grande monographie. On pense aussi à Albert Pinkham Ryder, Marsden Hartley, Joseph Stella ou Arthur Dove, entre autres. Bachmann a d’ailleurs consacré à ces peintres de la périphérie une série de portraits.
Ah, des portraits; ah, des paysages!, dit Stefan Banz. Rien de plus, rien de moins. [AdA]