7.5.2017, 17h | 11.6.2017, 17h
Récitals François Couperin, Quatrième Livre de Pièces de clavecin (Paris, 1730)
Patrick Missirlian, clavecin
Programme du concert du 7.5.2017, 17h
François Couperin (1668-1733)
Les Tours de Passe-passe
Vingtième Ordre en sol:
Les Princesse-Marie – air dans le goût Polonois pour la suite de la pièce précédente – la Boufonne – les Chérubins ou l’aimable Lazure – la Croûilly ou la Couperinète – Musette – la Fine Madelon – la Douce Janneton – la Sézile – les Tambourins
Vingt-et-unième Ordre en mi mineur:
La Reine des Cœurs – la Bondissante – la Couperin – la Harpée – la Petite Pince-sans-rire
Vingt-deuxième Ordre en ré:
Le Trophée – Airs pour la suite du Trophée – le Point du jour, Allemande – l’Anguille – le Croc-en-jambe – Menuets croisés – les Tours de Passe-passe
Vingt-troisième Ordre en fa:
L’Audacieuse – les Tricoteuses – l’Arlequine – les Gondoles de Délos – les Satires chèvre-pieds
Programme du concert du 11.6.2017, 17h
François Couperin (1668-1733)
Les Guirlandes
Vingt-quatrième Ordre en la:
Les Vieux Seigneurs, Sarabande grave – les Jeunes Seigneurs, cy-devant les petits Maitres – les Dars-homicides – les Guirlandes – les Brinborions – la Divine Babiche, ou les Amours-badins – la Belle Javotte, autrefois l’infante – l’Amphibie, mouvement de passacaille
Vingt-cinquième Ordre en mi bémol majeur et en ut:
La Visionnaire – la Mistérieuse – la Monflambert – la Muse Victorieuse – les Ombres errantes
Vingt-sixième Ordre en fa dièse:
La Convalescente – Gavote – la Sophie – l’Epineuse – la Pantomime
Vingt-septième Ordre en si mineur:
L’Exquise – les Pavots – les Chinois – Saillie
Patrick Missirlian, clavecin Dominique Laperle (Marcellaz-Albanais, 1994) d’après Nicolas Dumont (Paris, 1707)
Présentation
Le Quatrième Livre de Pièces de clavecin de François Couperin paraît à Paris en 1730, soit huit ans après le Troisième Livre. Les pièces du Quatrième Livre, d’après la préface, étaient pourtant achevées trois ans plus tôt. L’âge avancé et une santé alors déclinante, ont obligé le compositeur de cesser de travailler. De fait, le Quatrième Livre est le dernier ouvrage publié de Couperin, celui avec lequel il prend congé de son public, non sans gravité d’ailleurs, comme en témoigne la préface, ci-après transcrite in extenso:
Il y a environ trois ans que ces pieces sont achevées; Mais comme ma santé diminuë de jour en jour, mes amis m’ont conseillé de cesser de travailler et je n’ay pas fait de grands ouvrages depuis. Je remercie le Public de l’aplaudissement qu’il a bien voulu leur donner jusqu’icy; Et je crois en mériter une partie par le Zèle que j’ay eu à lui plaire. Comme personne n’a guères plus composé que moy, dans plusieurs genres, J’espère que ma Famille trouvera dans mes Portefeüilles dequoy me faire regretter, Si les regrets nous servent à quelque chose après la Vie, Mais il faut du moins avoir cette idée pour tacher de mériter une immortalité chimérique ou presque tous les Hommes aspirent.
Le Quatrième Livre contient huit ordres au total, soit un de plus que les deux précédents livres. Comme ceux-ci, le Quatrième Livre présente une galerie de petits tableaux musicaux, inspirés par l’esprit des fêtes galantes et champêtres. Telles des guirlandes, les Ordres entrelacent portraits galants, figures de caractère, arlequinades, bouffonneries, pantomimes et autres amusements.
Outre les Menuets croisés du Vingt-Deuxième Ordre, seules pièces croisées sur les deux claviers du clavecin, on trouve dans le Quatrième Livre des pièces où les mains croisent sur un seul clavier. Ce sont la Douce Janneton et la Sézile du Vingtième Ordre, les Tours de Passe-passe du Vingt-Deuxième Ordre et l’Arlequine du Vingt-Troisième Ordre. De telles pièces privilégient non pas l’effet de contraste de timbre entre les deux claviers, mais l’effet visuel suscité par l’entrelacement des deux mains sur un même clavier. Elles créent en quelque sorte dans l’œil du public l’illusion que l’interprète incarne les modèles que Couperin a voulu représenter dans sa musique. Qui dans le rôle d’Arlequin, qui dans celui du prestidigitateur, l’interprète intègre ainsi lui-même par ces tours de passe-passe la galerie de tableautins que constituent les Ordres.
En France, après la mort de Couperin en 1733, sa musique tombera peu à peu dans l’oubli, malgré l’œuvre d’épigones tels que Jean-François Dandrieu (1682-1738), Nicolas Siret (1663-1754), François d’Agincourt (1684-1758) ou Louis-Claude Daquin (1694-1772). Dans la Suite du Parnasse François publié par Évrard Titon du Tillet à Paris en 1743, on peut encore lire à l’article «François Couperin», l’éloge suivant, dans le ton qui convient à ce type d’ouvrage:
Le grand nombre des œuvres de Couperin, fait connoître la beauté & la fécondité de son génie. Il a fait graver diverses Pièces de Clavecin, en quatre volumes in folio; on peut dire qu’elles sont d’un goût nouveau, & d’un caractère où l’Auteur doit passer pour Original. Ces Pièces remplies d’une excellente harmonie, ont un chant noble & gracieux; & ce chant même a paru si beau & si naturel qu’on a composé des Paroles sur la Musique de quelques-unes; elles peuvent être joüées sur le Violon & sur la Flute, de même que sur le Clavecin. Ces Pièces ont fait honneur à leur Auteur, non seulement dans toute la France, mais encore dans les pays étrangers; elles sont très-estimées en Italie, en Angleterre & en Allemagne.
En Allemagne, en effet, les pièces de clavecin de Couperin ont joui dès leur origine d’un intérêt croissant et ininterrompu, qui a conduit à la publication en 1896, par Friedrich Chrysander (1826-1901) et Johannes Brahms (1833-1897), des deux premiers Livres, dans la série Denkmäler der Tonkunst, puis en 1888 de l’ensemble des quatre Livres (chez l’éditeur londonien Augener).
Il est significatif qu’à l’origine de cet intérêt pour la musique de François Couperin en Allemagne, on retrouve le cercle des proches et élèves de Johann Sebastian Bach (1685-1750). Une pièce du Second Livre, en l’occurrence les Bergeries, extraite du Sixième Ordre, a ainsi été recopiée – sans le titre –, en 1725 déjà, par Anna Magdalena Bach (1701-1760) dans le petit recueil éponyme (Notenbüchlein). Il s’agit du rondo en si bémol majeur BWV Anh. 183. Une autre pièce, le trio en fa majeur BWV 587 est quant à lui un arrangement pour orgue de l’un des mouvements de l’Impériale, sonate en trio extraite des Nations (Paris, 1726) de Couperin.
Mais le témoignage le plus éloquent de l’estime dans laquelle les pièces de clavecin de François Couperin étaient tenues par Bach est sans conteste contenu dans le Historisch-Biographisches Lexicon der Tonkünstler (Leipzig, 1792) de Ernst Ludwig Gerber (1746-1819). À l’article Franz Couperin, on apprend en effet que Bach recommandait à ses élèves l’étude des pièces de Couperin et qu’il pratiquait lui-même les manières du maître français dans l’exécution de ses propres œuvres! Ainsi, on peut lire:
Seine Klaviersachen, die der grosse Seb. Bach besonders schätzte und seinen Schülern empfahl, sind noch in unsern Zeiten vom Hrn. Reichardt in seinem Magazine der Vergessenheit entzogen worden und haben daselbst ihr verdientes Lob erhalten. Franz war auch der erste, so seinen gestochenen Klavierwerken eine Erklärung von Spielmanieren beyfügte, die Sebast. Bach in seinem eigenen Vortrage, grösstentheils beybehalten hat.
Ernst Ludwig Gerber est le fils de Heinrich Nicolaus Gerber (1702-1775), un élève de Bach à Leipzig, celui dont on a conservé le plus grand nombre de copies des œuvres du maître à la base de son enseignement. Tout le détail de cet enseignement nous est d’ailleurs connu précisément grâce au Historisch-Biographisches Lexicon der Tonkünstler. Le témoignage des Gerber permet en tout cas de rectifier les propos de Johann Nicolaus Forkel (1749-1818) dans sa biographie de Bach parue en 1801, qui prête au maître allemand un jugement négatif sur la musique de Couperin, soi-disant trop ornée (zu geziert) et inconsistante (nicht genug Gehalt). Ce préjugé a imprégné durablement l’idée que l’on s’est faite de l’art de Couperin. L’intégrale, qui prend fin ici, aura permis au contraire de révéler une œuvre d’une ampleur et d’une beauté exceptionnelles. [PM]