Anonyme_orgue_Arp_Schnitger Johann Christian Walzell, « Le facteur d’orgues Arp Schnitger (?) », 1701, huile sur bois (panneau de la tribune de l’orgue Arp Schnitger de l’église St-Bartholomé de Golzwarden)
Teschemacherweb Orgue Jacob Engelbert Teschemacher (Elberfeld, c. 1770) | © photo Magali Koenig

8.11.2020, 16h

Réjouissance du cœur – Les 6 Partitas de J. S. Bach, concert II – Les 250 ans de l’orgue Jacob Engelbert Teschemacher (Elberfeld, c. 1770)

Partita BWV 826

Patrick Missirlian, orgue, clavecin, clavicorde

Programme

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Partita II en do mineur BWV 826*: Sinfonia – Allemande – Courante – Sarabande – Rondeaux – Capriccio

Partita II en do mineur BWV 826**: Sinfonia – Allemande – Courante – Sarabande – Rondeaux – Capriccio

Partita II en do mineur BWV 826***: Sinfonia – Allemande – Courante – Sarabande – Rondeaux – Capriccio

Patrick Missirlian, orgue Jacob Engelbert Teschemacher (Elberfeld, c.1770) (*), clavecin anonyme (école allemande, c.1700) (**), clavicorde Benedikt Claas (Northeim, 2005) d’après Christian Ernst Friderici (Gera, 1765) (***)

 

Les 6 partitas pour clavier de Johann Sebastian Bach (1685-1750) ont été données à l’espace dAM en 2014 dans le contexte de mon intégrale consacrée à ce compositeur de 2013 à 2015. Pour cette nouvelle présentation des partitas, j’ai choisi de donner à mes récitals une forme différente, à la fois plus personnelle et reflétant mieux ma pratique musicale. Il n’y aura qu’une seule partita par concert, mais chacune d’elles entrera en résonance, pour ainsi dire, avec une autre œuvre d’envergure du répertoire, mais d’un compositeur différent. Cette œuvre ne sera dévoilée qu’au moment du concert, tout comme l’ex libris qui ouvrira le concert et qui permettra au public de découvrir une autre œuvre encore, moins connue, parmi les nombreux trésors de ma bibliothèque musicale. Je m’expliquerai alors, pour les personnes présentes, sur les motivations de mon choix. Par ailleurs, il y aura une partie improvisée, en lien avec l’ex libris. L’improvisation tient une place discrète mais essentielle dans mon travail d’interprète. La capacité de produire dans l’instant est une chose fascinante et passionnante. Je m’y exerce pour ma part par une pratique assidue de la musique polyphonique de clavier en partition (partitura) autour de 1600.

 

Pour ce deuxième récital toutefois, la forme du concert sera encore différente. Nous fêterons à cette occasion les 250 ans de l’orgue Jacob Engelbert Teschemacher. Pour ce faire, il m’a semblé intéressant – afin de répondre à un souhait du public – de faire entendre la même œuvre, en l’occurrence la partita II en do mineur BWV 826, sur les trois types d’instruments à clavier dont je dispose dans la salle de musique de l’espace dAM, à savoir l’orgue, le clavecin et le clavicorde. Comme cette expérience n’a jamais été proposée, il m’a paru judicieux, pour faire honneur à l’orgue Teschemacher, de le faire résonner dans la même œuvre jouée ensuite sur deux autres instruments à clavier de facture allemande, présents dans la salle de musique, le clavecin anonyme (c.1700) et le clavicorde d’après Christian Ernst Friderici (Gera, 1765).

 

Mais revenons aux partitas. Leur genèse remonte à 1725 au moins. Le petit livre de clavier d’Anna Magdalena Bach (1701-1760), compilé cette année-là contient en effet une copie autographe des partitas III en la mineur BWV 827 et VI en mi mineur BWV 830. Leur pièce initiale y est alors simplement intitulée Prélude. Fait significatif, la Burlesca de la partita III porte le simple titre de Menuet dans la copie du petit livre. Enfin, l’avant-dernier mouvement de la partita en question, un Scherzo, ne figure pas dans la copie de 1725.

 

Les six partitas BWV 825-830 ont été gravées par Johann Gottfried Krügner (1684-1769). Elles ont été publiées à compte d’auteur, à Leipzig dès 1726, à raison d’une partita par année, ceci afin de couvrir les frais de la gravure, à la charge du compositeur. Bach en a confié la diffusion, moyennant commission, à certains de ses collègues dans différentes villes allemandes: Christian Petzold (1677-1733), organiste de l’église Ste-Sophie et musicien de la chambre du roi à Dresde, Johann Gotthilf Ziegler (1688-1747), organiste de l’église St-Ulrich à Halle, Georg Böhm (1661-1733), organiste de la Johanniskirche à Lunebourg, Georg Heinrich Ludwig Schwanenberger (1696-1774), violoniste à la cour de Braunschweig-Wolfenbüttel et d’autres musiciens encore à Nuremberg et Augsbourg.

 

La partita I en si bémol majeur BWV 825 paraît ainsi à l’automne 1726, avec la promesse suivante: «Da der Hochfl. Anhalt-Cöthensche Capell-Meister und Director Chori Musici Lipsiensis, Herr Johann Sebastian Bach ein Opus Clavier-Sviten zu ediren willens, auch bereits mit der ersteren Partitae den Anfang gemachet hat, und solches nach und nach, bis das Opus fertig, zu continuiren gesonnen ; so wird solches denen Liebhabern des Claviers wissend gemacht. Wobey denn zur Nachricht dienet, dass der Autor von diesem Wercke selbst Verleger sey.»

 

En 1731, les six partitas sont publiées en un seul volume, en tant que opus 1 de Bach. Elles constituent la première partie de la Clavier-Übung. Le titre complet est le suivant: «Clavir Übung bestehend in Praeludien, Allemanden, Couranten, Sarabanden, Giguen, Menuetten, und andern Galanterien; Denen Liebhabern zur Gemüths Ergoetzung verfertiget von Johann Sebastian Bach Hochfürstl. Sächsisch-Weisenfelsischen würcklichen Capellmeistern und Directore Chori Musici Lipsiensis. Opus 1. In Verlegung des Autoris. 1731.»

 

À première vue, les partitas suivent le modèle de la suite avec prélude, tel que rencontré dans les suites dites anglaises BWV 806-811. Mais si les préludes des suites anglaises sont presque tous de forme da capo et de style concertant, ceux des partitas en revanche représentent tous un type de prélude en particulier, dont le titre chaque fois différent (praeludium, sinfonia, fantasia, ouverture, praeambulum et toccata) confère d’entrée de jeu à chacune des partitas une spontanéité de ton et de caractère.

 

Les partitas conservent de la suite le noyau originel, à savoir l’allemande, la courante, la sarabande et la gigue. Seule exception, la partita II ne se termine pas par une gigue, mais par un capriccio. D’autres mouvements de danse, avant tout le menuet, mais aussi le passepied, ainsi que diverses galanteries, complètent le tout. Parmi ces galanteries, figurent un air, une aria, la burlesca et le scherzo évoqués plus haut.

 

Enfin, une pièce comporte la mention Tempo di Minuetta et une autre Tempo di Gavotta. Ce sont en réalité des indications de mouvement, que l’on rencontrera couramment dans les sonates pour clavier à venir. La pièce intitulée Tempo di Gavotta, avant-dernier mouvement de la partita VI en mi mineur BWV 830, figurait d’ailleurs dans une version ancienne de la sonate pour violon et clavecin obligé en sol majeur BWV 1019, dont elle formait le cinquième et dernier mouvement. Il en va de même pour la corrente de la partita VI également, qui tient lieu de mouvement central dans la sonate en question.

 

Dans les partitas, la stylisation de la danse est ainsi portée à un haut degré de raffinement, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives dans le domaine de la musique de clavier et de son écriture. Ainsi, les airs (Melodien) de danses des partitas substituent à la polyphonie brisée (gebrochene Arbeit), propre au luth et caractéristique des pièces de clavecin depuis le 17ème siècle, une écriture unie, à l’imitation des sonates pour violon, faite d’arpègements et d’intervalles mélodiques excédant l’octave, de croisements de mains, de passages et autres batteries, à propos desquels François Couperin (1668-1733) écrivait une vingtaine d’années plus tôt dans L’Art de toucher le Clavecin (Paris, 1716): «Mon avis serait qu’on se bornât un peu sur la quantité qu’on en joue sur le clavecin».

 

La texture même des partitas est réduite le plus souvent à deux voix, une basse et un dessus, qui travaillent toujours, selon le mot de Couperin à propos de ce genre de nouvelles pièces, réalisant ainsi dans l’écriture l’idéal esthétique de la conversation galante. Il n’en faut d’ailleurs pas plus pour mettre la dextérité de l’exécutant à l’épreuve. Mais dans la virtuosité qui découle de ce style d’écriture pour le clavier, la préséance revient toujours à la mélodie, d’où un soin extrême apporté à la notation des durées dans la basse de certaines pièces parmi les plus visionnaires, telles l’ouverture de la partita IV ou le praeambulum de la partita V.

 

Les partitas sont totalement en phase avec l’idéal esthétique de l’époque galante, qui juge désormais la mélodie selon ses qualités de naturel, de grâce, de clarté et de simplicité, par opposition à la polyphonie brisée et à la basse continue caractéristiques de l’art baroque. Au sujet des propriétés de la mélodie, le théoricien et compositeur Johann Mattheson (1681-1764) écrit dans son Kern musikalischer Wissenschaft (Hambourg, 1737): «Wenn dasjenige, was empfindliche Sinnen rühren soll, vor allen Dingen leicht, lieblich, deutlich und fliessend seyn muss».

 

Ainsi libérée des entraves de la polyphonie brisée, la mélodie peut exprimer en toute liberté une très grande diversité de sentiments et d’émotions. C’est pourquoi les formes de danses qui constituaient jusqu’alors la suite restent le cadre privilégié de la démonstration de cette diversité. L’affect de la courante, selon le Kern de Mattheson, est ainsi celui d’une douce espérance, celui de la sarabande, le sérieux inébranlable, celui d’un rondeau, la vivacité, celui du passepied, la versatilité et l’inconstance, celui de la gigue, l’ardeur et l’empressement, celui de la gavotte, l’allégresse exultante, celui d’un menuet, la sobre gaieté: «Bey einer Courante ist das Gemüth auf eine zärtliche Hoffnung gerichtet (ich meyne aber keine welsche Corrente); bey einer Sarabanda auf lauter steiffe Ernsthaftigkeit; bey einem Rondeau auf Munterkeit; bey einem Passepié auf Wankelmuth und Unbestand; bey einer Gique auf Hitze und Eifer; bey einer Gavotte auf jauchzende Freude; bey einem Menuet auf mässige Lustigkeit u.s.w.»

 

Les partitas mettent désormais au défi le clavier d’égaler les autres instruments dans la capacité d’émouvoir le cœur (Gemüth) de toutes sortes de sentiments, d’exciter ou de calmer les passions. Elles anticipent à cet égard les courants musicaux à venir, avant tout celui de l’Empfindsamkeit.

 

Peu après la publication des partitas, les sonates pour clavier seul commenceront en effet à voir le jour en Allemagne, comme en atteste le Kern melodischer Wissenschaft de Johann Mattheson: «Seit einigen Jahren hat man angefangen Sonaten fürs Clavier (da sie sonst nur für Violinen & gehören) mit gutem Beyfall zu setzen; bisher haben sie noch die rechte Gestalt nicht, und wollen mehr gerühret werden, als rühren; d. i. sie zielen mehr auf die Bewegung der Finger, als der Hertzen. Doch ist die Verwunderung, über eine ungewöhnliche Fertigkeit, auch eine Art der Gemüths-Bewegung, die nicht selten den Neid gebieret.»

 

Les partitas, quasi sonate, confirment le clavier dans une nouvelle posture, où ce dernier est capable à lui seul à la fois d’étonner et de toucher. Il rivalise ainsi avec les instruments ordinaires de la musique de chambre, avant tout le violon, auquel il peut désormais prétendre se substituer pour assumer à part entière le programme d’un grand concert pour clavier seul. S’expliquent dès lors la mention il fine ponctuant la partita III et la présence d’une ouverture en guise de prélude de la partita IV, qui suggèrent un entracte au milieu de la première partie de la Clavier-Übung. Mais considérée individuellement, chaque partita est aussi, à elle seule déjà, l’occasion d’une grande réjouissance pour le cœur (zur Gemüths Ergoetzung). Je souhaite ainsi dire à travers cette nouvelle série de concerts ma joie d’être claveciniste. (PM)

 

Disposition de l’orgue J. E. Teschemacher (Elberfeld, c.1770)

Hohlpfeife 8’
Flöte travers 4’
Nachthorn 4’
Octav 2’
Violin 8’ D
Unda Maris 8’ D
Vox Humana 8’ B/D

Tremulant

Pédalier en tirasse