carmotelle_violoniste1 Louis Carrogis dit Carmontelle, «La violoniste vue de dos», vers 1760, mine de plomb, sanguine, aquarelle, gouache, 26 x 16 cm, Wrightsman Collection, New York
carmontelle_violoniste2 Louis Carrogis dit Carmontelle, «La violoniste vue de face», vers 1760, mine de plomb, sanguine, aquarelle, gouache, 26 x 16 cm, Wrightsman Collection, New York

4.3.2018, 16h | 11.3.2018, 16h

Récitals Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Les six sonates pour violon et clavecin obligé BWV 1014-1019

Christine Busch, violon baroque | Patrick Missirlian, clavecin

Soliste invitée à dAM, Christine Busch est professeure de violon à la Haute école de musique de Stuttgart. Comme Konzertmeisterin, elle collabore notamment avec Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent.

 

Programme du concert du 4.3.2018, 16h

Sonate 1 en si mineur BWV 1014:
Adagio – Allegro – Andante – Allegro

Sonate 2 en la majeur BWV 1015:
Dolce – Allegro – Andante un poco – Presto

Sonate 3 en mi majeur BWV 1016:
[sans indication de mouvement] – [sans indication de mouvement] – Adagio ma non tanto – Allegro


Programme du concert du 11.3.2018, 16h

Sonate 4 en do mineur BWV 1017:
Largo – Allegro – Adagio – Allegro

Sonate 5 en fa mineur BWV 1018:
[sans indication de mouvement] – Allegro – Adagio – Vivace

Sonate 6 en sol majeur BWV 1019:
Allegro – Largo – Allegro (cembalo solo) – Adagio – Allegro

Christine Busch, violon baroque
Patrick Missirlian, clavecin Dominique Laperle (Marcellaz-Albanais, 1994) d’après Nicolas Dumont (Paris, 1707)

 

Présentation

Composées sans doute à Leipzig autour de 1725, les six sonates pour violon et clavecin obligé BWV 1014-1019 de Johann Sebastian Bach (1685-1750) constituent un ensemble d’un genre nouveau dans l’histoire de la musique à cette époque: la sonate pour deux instruments seuls, traités dans un rapport de stricte égalité et non plus selon une répartition hiérarchisée des rôles, régie par le principe de polarisation des extrêmes si cher au baroque et manifeste dans l’opposition entre instrument soliste et instrument (ou groupe d’instruments) d’accompagnement, autrement dit entre dessus et basse (continue). Les six sonates BWV 1014-1019, de même que les sonates pour viole de gambe et clavecin BWV 1027-1029, les sonates pour flûte et clavecin BWV 1030-1032 et à plus large échelle les concerti pour un à quatre clavecins et orchestre à cordes BWV 1052-1065, élèvent dès lors le clavecin au rang d’instrument concertant, au même titre que les instruments mélodiques, et lui confèrent en musique de chambre un rôle nouveau.

 

De fait, dans ces sonates, la partie de clavecin est entièrement composée et n’est plus cantonnée à la seule ligne de basse, chiffrée ou non pour la réalisation harmonique. Le clavecin, ainsi libéré de sa fonction et de son statut d’instrument d’accompagnement, affranchit du même coup le violon de son propre statut d’instrument accompagné. L’un et l’autre peuvent désormais concerter à voix égales – et même en canon à l’unisson, dans le cas de l’andante un poco de la sonate 2 en la majeur BWV 1015 –, explorant solidairement, chacun selon ses ressources particulières, toutes les possibilités de l’écriture contrapuntique, généralement à trois voix obligées, mais pas uniquement. Le mouvement initial des sonates 1, 3 et 5 respectivement BWV 1014, 1016 et 1018 est en effet écrit à quatre voix au minimum. La sonate 6 en sol majeur BWV 1019 contient même un mouvement central en majeure partie à deux voix, confiées au clavecin seul, le violon étant contraint de se taire! Quant aux parties en doubles cordes du violon, elles servent au renforcement de l’harmonie dans l’écriture à cinq voix (adagio de la sonate 1 en si mineur BWV 1014), quand ce n’est pas à la réalisation de l’accompagnement, confiée alors au violon (adagio ma non tanto de la sonate 3 en mi majeur BWV 1016 et adagio de la sonate 5 en fa mineur BWV 1018).

 

À l’instar des suites pour violoncelle seul BWV 1007-1012 et des sonates et partitas pour violon seul BWV 1001-1006, les six sonates BWV 1014-1019 sont traversées du désir du compositeur de parvenir à une forme de quintessence musicale, en dépit de la modestie du dispositif instrumental. Aussi le violon et le clavecin incarnent-ils parfois, dans une configuration à la mesure de l’intimité de la chambre, le modèle supérieur, celui de l’orchestre, en l’occurrence galant. Comment ne pas songer en effet, à l’écoute d’un mouvement tel l’allegro initial de la sonate 6 BWV 1019, à l’univers du concerto? Les mouvements rapides de cette sonate se distinguent en outre par le recours aux intervalles disjoints, tels que la quinte, l’octave et au-delà, une caractéristique de l’écriture orchestrale galante et de son goût pour le burlesque – un goût qui teintera encore en 1735 la deuxième partie de la Clavier-Übung. L’allegro final de la sonate en question semble d’ailleurs précisément écrit à l’imitation de Georg Philipp Telemann (1681-1767), ami de Johann Sebastian Bach, parrain de son fils Carl Philipp Emanuel (1711-1788) et éminent représentant du style galant. Nul doute par conséquent que les six sonates pour violon et clavecin obligé BWV 1014-1019 répondaient aux exigences d’originalité de leur temps et qu’elles étaient «telles qu’on n’en avait jamais entendu jusqu’ici» [«allhier noch nicht gehöret worden»].

 

Malgré tout, la postérité immédiate retiendra les sonates BWV 1014-1019 d’une manière générique comme des trios pour clavier. Dans une lettre de 1774 à Nicolaus Forkel (1749-1818), premier biographe de Johann Sebastian Bach, Carl Philipp Emanuel écrit ainsi à leur propos: «Les 6 trios pour clavier, regroupés sous le même numéro, sont de la meilleure plume de feu mon cher père. Ils sonnent aujourd’hui encore très bien et me procurent beaucoup de plaisir, quand bien même ils ont plus de cinquante ans. On ne fait pas, de nos jours, les adagios plus chantants. Comme ils sont très déchirés, je vous prie d’en prendre grand soin.» [«Die 6 Claviertrio, die unter ihren Nummern zusammengehören, sind von den besten Arbeiten des seligen lieben Vaters. Sie klingen noch jetzt sehr gut, u. machen mir viel Vergnügen, ohngeacht sie über 50 Jahre alt sind. Es sind einige Adagii darin, die man heut zu Tage nicht sangbarer setzen kann. Da sie sehr zerlästert sind, so belieben Sie solche gut in acht zu nehmen.»] [PM]